Luk VERVAET
« Une bombe à retardement ». « La chaleur risque d'entraîner une escalade, de l'agressivité et des troubles ». (1) « Canicule et surpopulation : un cocktail explosif dans les prisons : les détenus étouffent ». (2) Ce sont quelques-unes des déclarations de la direction et du personnel pénitentiaire lors de la récente vague de chaleur. Heureusement, celle-ci n'a pas duré trop longtemps, même si tous ceux qui sont incarcérés ou travaillent dans une ancienne prison savent que cette chaleur persiste pendant des semaines. Ces cris d'alarme n'ont pas vraiment ému les politiciens, les médias ou l'opinion publique. La protection des animaux par temps chaud suscite plus d'attention que celle des détenus. Attention, j'aime les animaux, mais je ne trouve pas normal que les détenus soient encore moins bien traités qu'eux.
« L'administration ne met pas de ventilateurs à disposition », a déclaré un gardien de la prison d'Andenne. Et d'ajouter : « Ils (les détenus) peuvent en acheter à la cantine avec l'argent que leur envoie leur famille ou avec le salaire qu'ils gagnent grâce à leur travail en prison, mais les autorités ne proposent rien. Contrairement à la France, il n'y a pas de plan canicule pour les prisons. Nous sommes le dernier maillon de la chaîne, le bien-être des détenus n'est pas une priorité politique ».
Se pourrait-il, comme le souligne à juste titre ce gardien, que tous les problèmes trouvent précisément leur origine dans le fait que la société se moque des détenus et que nous ne voulons ni les entendre ni les voir ?
Une véritable guerre
À peu près au moment où l'alerte était donnée sur la chaleur dans les prisons, une « véritable guerre » a éclaté le 1er juillet dans la prison de Wortel, selon les témoignages du personnel pénitentiaire. Dans cette prison, on compte en moyenne « trois à cinq incidents graves par semaine ». Mais cette fois-ci, pas moins de quatre (cinq selon certains médias) gardiens ont été blessés après avoir été attaqués par six détenus. L'incident aurait été provoqué par l'annonce du transfert de prisonniers vers une autre cellule en raison de trop nombreux troubles. Des détenus sans papiers seraient particulièrement impliqués. « Le groupe a saccagé la cellule, jeté de la porcelaine, lancé des meubles à travers la cellule, tout a été détruit et les gardiens ont été agressés ». Comme lors de la canicule, le personnel a lancé un cri d'alarme : « Il faudra peut-être attendre qu'il y ait un mort pour que les responsables se réveillent ». (3)
Un incident similaire s'est produit trois jours plus tard dans la nouvelle prison de Termonde. Lorsque le personnel pénitentiaire a voulu transférer un détenu dans une autre cellule en raison de coups répétés sur la porte de sa cellule, les deux gardiens ont été agressés par l'intéressé. Les deux hommes sont en incapacité de travail pour plusieurs jours. « La surpopulation augmente ici, c'est douloureux à voir », a-t-on pu entendre dans une première réaction. (4)
Un mois de juin caniculaire, un avant-goût de ce qui nous attend
Un mois plus tôt, le 5 juin, des bagarres avaient déjà éclaté lors de la promenade du soir à la prison de Wortel. La raison, nous avait-on alors dit, était les colis contenant des médicaments, des téléphones portables et de la drogue, lancés par-dessus les murs de la prison. Mais plus important encore, l'atelier de travail de la prison est fermé depuis six mois « pour cause de travaux d'infrastructure ». Il n'y a donc pas de travail, les détenus sont enfermés dans leur cellule, sans aucun revenu. (5)
Le même jour, plusieurs dizaines de détenus de la prison tout aussi surpeuplée de Malines ont refusé de regagner leur cellule. La protestation a donné lieu à des dégâts matériels. Elle avait été déclenchée par la suppression de la promenade du soir « en raison d'un manque de personnel ». En raison de la surpopulation, les détenus ne recevraient pas non plus suffisamment à manger. Quelques jours plus tard, un détenu a agressé deux gardiens. L'homme avait été placé dans une « cellule de sécurité spéciale » et, lors d'un entretien avec un membre de la direction, il a tenté de l'étrangler. (6)
Au cours de la semaine du 13 juin, deux cellules ont été incendiées dans la nouvelle prison de Termonde. (7)
Le 9 juin, les détenus de l'ancienne prison de Termonde ont refusé de regagner leur cellule après leur promenade. La raison de cette protestation serait une « discussion qui a dégénéré ». « Des véhicules de police venus notamment de Ninove, Saint-Nicolas, Erpe-Mere/Lede, Buggenhout/Lebbeke et Hamme/Waasmunster sont arrivés sur place pour prêter main-forte à la police de Termonde. Deux chiens policiers étaient également présents lors de l'intervention ». (8)
Le vendredi 20 juin, toute la presse belge a rapporté qu'un agent pénitentiaire de la prison de Haren avait été frappé par un ancien détenu sur le parking devant la prison. L'ancien détenu a été arrêté et l'agent a été transporté à l'hôpital. (9)
Depuis le début de l'année, c'est le cinquième cas d'agression contre un gardien de prison en dehors des murs de la prison de Haren, la prison la plus récente et la plus grande du pays. Il y a quelque temps, des voitures ont été incendiées sur le parking de la prison et devant le domicile d'un gardien de prison à Heers. Un cocktail Molotov a été lancé contre le domicile de trois agents de la prison de Haren. (10)
Tant à Haren qu'à la prison d'Anvers, des agressions sexuelles ont été commises contre des assistantes sociales au cours des derniers mois. À Anvers, six mois plus tôt, un détenu avait été battu et violé pendant plusieurs jours par ses codétenus. Vous trouverez mon article sur ce dernier incident dans la note de bas de page. (11)
« Un monde de violence aveugle et d'agressivité »
C'est l'image de la prison (et des détenus) qui se dégage de la série de faits divers et d'incidents rapportés dans les médias ces dernières semaines et ces derniers mois. Le genre d'informations qui sont particulièrement efficaces pour susciter non seulement la peur, mais aussi le dégoût du grand public à l'égard des détenus et la sympathie pour la prison et le personnel pénitentiaire. Heureusement, tel est le message (sous-jacent), que les prisons sont là pour nous protéger, nous et la société, contre ce type de violence criminelle. On en oublierait presque la violence guerrière qui fait rage dans le monde.
La violence qui ne fait pas la une des médias
Dans cet article, nous souhaitons mettre en avant deux points afin de mieux comprendre la violence dans et hors des prisons.
Tout d'abord, ce qui apparaît dans les médias n'est que la partie émergée de l'iceberg. Non seulement nous n'entendons jamais la version des prisonniers concernés dans le rapport sur un incident, mais il y a aussi toute la violence quotidienne dans les prisons qui n'est pas relayée par les médias. Comme les informations sur les personnes psychotiques ou toxicomanes qui perdent pied parce qu'elles ne reçoivent pas le traitement dont elles ont besoin. Sur les sauts du deuxième ou troisième étage. Sur les automutilations et les tentatives de suicide. Sur les détenus qui meurent faute de soins... Sur la violence du personnel à l'égard des détenus.
Avez-vous déjà entendu parler, par exemple, de la violence excessive du SICAR (l'équipe d'intervention de la prison de Haren) ? Voici ce que l'on peut lire à ce sujet dans le rapport de la visite de la délégation du CTRG (Conseil central de surveillance du système pénitentiaire) et d'Unia à la prison de Haren en septembre 2024. « La délégation a reçu plusieurs accusations de détenus faisant état de violences physiques intentionnelles commises par des membres de l'équipe d'intervention SICAR. Les témoignages font état de violences excessives qui auraient été commises par certains membres de cette équipe, notamment des coups portés à des détenus lors d'interventions alors qu'ils étaient déjà maîtrisés et/ou menottés. Au cours d'entretiens individuels, plusieurs détenus ont décrit les violences suivantes : étranglement, coups de pied et coups, pincement des parties génitales, pression derrière l'oreille, pression au sol, coups au visage, déportement d'un détenu hors de sa cellule, humiliation, fouille de femmes par une équipe masculine... En outre, la délégation a reçu plusieurs informations concordantes faisant état de fouilles corporelles à nu systématiques par l'équipe d'intervention SICAR lorsque des détenus sont placés en cellule disciplinaire ou en cellule de « temps mort ». Selon les détenus, ils auraient été régulièrement déshabillés de force et avec violence par des membres de l'équipe d'intervention. Ils auraient été attachés avec les vêtements spéciaux qu'ils devaient porter pendant leur isolement, puis laissés nus dans la cellule. Ce n'est qu'ensuite qu'ils ont pu se détacher et enfiler les vêtements spéciaux. » (12)
Une deuxième réflexion s'impose.
Pour comprendre la violence en prison, nous devons nous éloigner du sensationnel. Nous devons dépasser la culpabilité individuelle, tant celle du détenu que celle du gardien, et chercher l'origine structurelle de cette violence et les moyens de la combattre. À quelques exceptions près, les médias ne nous raconteront pas cette histoire, car elle va à l'encontre de la culture pro-prison dominante dans notre société. C'est pourquoi je voudrais conclure cette première partie par le verdict rendu dans l'affaire de l'agression sexuelle contre une assistante sociale anversoise et la réaction de la victime et de son avocat.
« Défaillance du système »
Le détenu qui a tenté de violer une assistante sociale dans la prison d'Anvers l'année dernière n'a pas été condamné à quatre ans de prison, comme le avait demandé le parquet, mais à cinq ans de prison ferme et à une amende de 5 000 euros.
Il faut saluer le travail de l'assistante sociale concernée (qui compte plus de vingt ans de service) et de son avocat Walter Daemen, qui ont réussi à sortir cette affaire de viol de la sphère sensationnelle de l'agresseur individuel. Ils ont mis le doigt sur le problème. « La situation dans les prisons belges est intenable et inhumaine », ont-ils déclaré dans une interview. Voici quelques citations tirées de leur témoignage remarquable. (13)
L'assistante sociale : « Les gens n'ont aucune idée de ce que c'est que de vivre 23 heures par jour avec trois adultes dans neuf mètres carrés... Peut-être pourrions-nous tous être un peu plus indulgents. Je pensais que mon agresseur devait être puni. Mais cinq ans de prison sont-ils vraiment utiles ? Si cet homme est libéré dans cinq ans, sans avoir suivi de traitement, il sera peut-être encore plus frustré. À quoi aura servi cette peine ? Le citoyen lambda n'a aucune idée de la vie en prison. On y voit des choses vraiment inhumaines. Des gens qui ne peuvent pas prendre soin d'eux-mêmes, le chaos dans les cellules, des personnes psychotiques qui devraient être en hôpital psychiatrique, mais qui doivent attendre des années pour obtenir une place... L'attention de l'opinion publique devrait se porter sur la revendication de véritables changements sociaux, tels que de meilleurs traitements et davantage de places dans les centres de soins... »
L'avocat : « La protection des animaux dit qu'il faut prévoir au moins cinq mètres carrés par poulet. En prison, trois adultes dans neuf mètres carrés, ce n'est pas une exception. Un agriculteur qui élèverait ses animaux comme la Régie des Bâtiments et la Justice enferment nos prisonniers aurait perdu son permis depuis longtemps... Nous allons vers un échec total du système. »
Apprendre à être « plus indulgent »....
C'est ce que nous dit l'assistante sociale. Une attitude fondamentale que nous ne connaissons plus lorsqu'il s'agit des prisons. Nous sommes à juste titre indignés par la sélectivité occidentale et le double standard lorsqu'il s'agit du génocide à Gaza. Nous nous indignons à juste titre des déclarations des politiciens israéliens qui parlent des Palestiniens de Gaza comme de « bêtes humaines ».
Si nous voulons éviter d'en arriver là, si nous voulons empêcher que de telles opinions fascistes s'insinuent dans notre propre culture, nous devons commencer par affiner nos opinions sur ceux qui sont exclus ou vivent en marge de la société normale. Pourquoi sommes-nous nous-mêmes indifférents et sélectifs lorsqu'il s'agit du traitement inhumain des prisonniers ? Quand il s'agit de prisonniers, il ne s'agit plus d'êtres humains, mais de choses et d'objets. Il s'agit d'une catégorie de personnes, d'un sous-prolétariat qui n'appartient pas à notre classe, ni à notre cercle d'humanité. Ainsi, aucun programme politique ni aucune manifestation syndicale ne mentionne la situation et les droits des prisonniers. Peut-être devrions-nous commencer par trouver cela anormal.
(Une série sur la violence de la prison, partie 1)